Pour passer clandestinement la frontière en train, l’enfant s’est mis en boule, sa mère l’a fourré dans une valise. Ils rejoignent illégalement le « pays d’accueil » où le père est saisonnier. L’enfant est cloîtré dans l’immeuble de rapport où vivent ses parents. À force de toujours devoir se cacher, il développe d’étonnantes capacités de fuite et de dissimulation, dans l’armoire, derrière le buffet, sous la table : son comportement ressemble de plus en plus à celui d’un lézard. Il se glisse, craintivement d’abord, dans la cage d’escalier, puis dans les autres appartements : chez le couple de concierges tyranniques, un vieux professeur, la violoniste qui perd doucement la tête, Emmy sa copine.
On ne saura pas son prénom : il est l’enfant hors mariage dont l’existence doit rester secrète ; chez lui d’abord en Italie, puis en Suisse où le regroupement familial est interdit aux travailleurs étrangers. L’écrivain suisse, fils d’immigrés italiens, adopte le point de vue du jeune clandestin pour révéler le destin sordide de ceux (années 1960-1970) qui s’usaient à la tâche pour survivre et construire « au pays » la maison de leurs rêves. L’illégalité, le travail inhumain, l’angoisse d’être renvoyé, sont toujours d’actualité pour ces « pauvres saisonniers » partagés entre deux mondes, n’ayant de place nulle part. Une écriture dépouillée, presque sèche, fait naître empathie et tendresse pour le gamin reclus, abîmé, déshumanisé. Un conte puissant, cruel et dérangeant. (J.G. et T.R.)