Un grand loup noir, seul dans la prairie fleurie, fixe lâhorizon ; un ours brun dressĂ© sur ses pattes arriĂšre installe acrobatiquement la derniĂšre tourelle dâun chĂąteau-fort multicolore ; sur son rocher au milieu de lâocĂ©an, le petit pingouin agite sa main en signe dâadieu vers un bateau rouge, au loin ; lâescargot jaune portant sur son dos sa maison bleu et rose trace sa route ; tĂ©mĂ©raire, le crocodile vert sâĂ©lance du plongeoir jaune dans lâeau bleue de la piscine⊠Et, tout Ă la fin, le cheval rouge file Ă vive allure, criniĂšre noire au vent, vers une destination hors champ.
Tout droit sortis du bestiaire des enfants, la girafe, lâĂ©lĂ©phant, la tortue et les autres, peuplent cet imagier, en page de droite dâun album cartonnĂ©. ExceptĂ© les quatre canetons qui suivent leur maman, ils sont IsolĂ©s ou vont par deux. Lâanthropomorphisme est de mise pour doter chacun dâun comportement « humain » aussi improbable que drĂŽle ! Ainsi trois souris aux oreilles roses font trempette dans la grande tasse de cafĂ© qui leur tient lieu de piscine. Chaque image, vingt en tout, est un tableau ! De lâun Ă lâautre, un mĂȘme choix de simplicitĂ© des lignes : des horizontales partagent harmonieusement les paysages entre ciel et terre en espaces de couleur auxquels le pinceau donne de la profondeur ou de la transparence. Lâoeil va droit au personnage grĂące Ă une mise en scĂšne Ă©purĂ©e, sans dĂ©tails superflus, simplement dĂ©coratifs, qui seraient susceptibles de disperser lâattention. Lâimage est efficace et belle !
Sur la page de gauche, un « mot peint », un verbe Ă lâinfinitif et en couleurs la prĂ©cĂšde, lâintroduit ou la commente. Ni abĂ©cĂ©daire ni imagier thĂ©matique, comment sâorganise cet album ? Les verbes dĂ©signent tantĂŽt une activitĂ© de lâesprit comme « rĂ©flĂ©chir », tantĂŽt des activitĂ©s oĂč le corps Ă sa part comme « nager », ou encore celles qui supposent un partenaire comme « se retrouver », dâautres enfin comme « arroser » oĂč la relation Ă lâenvironnement sâimpose. Registres mĂȘlĂ©s de lâabstrait et du concret, au petit bonheur la chance ?
Comment sâopĂšre le va-et-vient entre les deux pages ? Par une libre association entre la puissance suggestive de lâimage et la richesse du verbe ; le regard sây prĂ©cise en mĂȘme temps que le lexique. Le choix de lâinfinitif, au lieu dâun sujet-verbe Ă©largit le champ des interprĂ©tations : « rĂȘver » inclut plus de rĂȘves et de rĂȘveurs que ne le ferait « il rĂȘve ». Vert ou rose ou bleu sur la page blanche, une couleur empruntĂ©e au tableau associĂ©, le mot sonne juste ! Pouvait-on imaginer plus parfaite connivence ? (A.-M.R. et C.B.)