Prague, 1997. La vie est devenue impossible pour Nad’a – démise de ses fonctions de brillante universitaire – et son frère Andrěl, rattrapés par le passé de leur père que la presse accuse de collaboration avec les nazis. Bohuš Zdražil a en effet dirigé l’usine Fernak, fleuron de l’industrie tchèque, durant la Seconde Guerre mondiale. Convaincue du contraire, Nad’a décide de rechercher les archives de l’usine afin de faire toute la lumière sur ces affirmations infamantes…
Deux des premiers romans de Paul Gréveillac précédant Art Nouveau (Les Notes juillet 2020) ont pour sujet les régimes totalitaires : La Russie de Staline, la Chine de Mao. Il nous plonge ici de façon très convaincante dans l’épopée d’une usine d’aviation de Bohême-Moravie, devenue, sous la botte du sanguinaire Reinhard Heydrich, ville-usine symbolisant l’effort de guerre allemand, où travaillent à la fabrication de chars et d’avions des milliers de prisonniers transférés des camps, mourant comme des mouches et sitôt remplacés. Ce dernier, non content d’exiger des rythmes de production de plus en plus infernaux, impose sournoisement de nouveaux collaborateurs, fait régner la terreur sur la population et « débarrasse Prague de la vermine juive ». Ainsi est décrit l’étau nazi qui se resserre progressivement sur le gouvernement, l’usine, les hommes, illustrant parfaitement la mainmise du régime hitlérien sur les outils de production pendant la guerre et l’inhumanité terrifiante avec laquelle était traitée l’abondante main d’œuvre fournie par les camps, considérée comme du bétail. On réalise aussi, à travers cette fiction terriblement crédible, le dilemme des dirigeants d’usine confrontés à la volonté écrasante du pouvoir, partagés entre terreur des représailles et désir de désobéissance. L’écriture, parfaitement maîtrisée, est concise, les nombreux personnages bien campés. Un roman prenant d’une très grande densité. (D.D. et M.-N.P.)