Corneille est une enfant de douze ans. Elle vit dans une des Iles Elisabeth, au Massachusetts, après avoir été recueillie tout bébé dans un petit rafiot à la dérive, par Osh, lui-même échoué là peu d’années auparavant, et devenu son père d’adoption. Corneille est heureuse mais, depuis quelque temps, des questions affleurent : elle aimerait savoir qui elle est, d’où elle vient et surtout qui sont ses parents, d’autant qu’elle a le sentiment que les autres enfants l’évitent. Des rumeurs courent sur son compte, qui ont peut-être un lien avec l’île Penikese toute proche et, semble-t-il, abandonnée. Lauren Wolk aurait pu n’écrire qu’un roman d’initiation, raconter l’histoire d’une adolescente en quête de ses racines. Elle refuse le condiment facile de la révolte contre les adultes propre à cet âge : Osh et Maggie, leur voisine et amie, sont loin de faire barrage au désir de Corneille. Ils épaulent son initiative avec bienveillance. Le caractère de l’héroïne s’est forgé à leur contact : c’est une enfant qui se sait aimée, bien structurée ; les ressorts de l’intrigue ne viendront d’aucune des failles psychologiques convenues quand on aborde un tel sujet. Et c’est tant mieux !La curiosité du personnage, sa détermination, ouvrent les portes au roman d’aventure dans la lignée de ceux du XIXe siècle : l’histoire se passe dans les années vingt, à partir d’une base historique avérée, celle des léproseries encore en activité. Outre l’intérêt documentaire précisé en fin d’ouvrage par une note de l’auteure, c’est un choix efficace pour ancrer le récit dans la réalité et explorer la dynamique de la peur. Le roman oscille, avec une belle maîtrise des changements de rythme, entre la peinture poétique du monde rural paisible de l’île Elisabeth et les battements de coeur liés aux rebondissements de l’intrigue. On y parle de pirates, de trésor caché… l’auteure déclinant une belle variété de péripéties autour d’un deuxième lieu, austère celui-ci et librement revisité, l’île de Penikese. Autant d’ingrédients classiques parfaitement exploités pour emporter l’adhésion du lecteur. Car ce roman d’atmosphère prend son temps sans que cela pèse, au profit d’une description amoureuse de ce bout du monde envoûtant sous le sceau de l’océan. Bien servi par la finesse de la traduction, ce que dit enfin Lauren Wolk, à travers l’histoire mêlée de ses personnages, c’est la force du lien affectif qui permet de passer outre les interrogations des uns sur les autres, de respecter leur part d’ombre, leur mystère. L’essentiel, d’où qu’on vienne, n’est-il pas ce que nous construisons ensemble ? (M.-T.D. et A.E.)
Longtemps, j’ai rêvé de mon île
WOLK Lauren