Lutetia.

ASSOULINE Pierre

L’hôtel Lutetia, à Paris, est un mythe. Biographe réputé, Pierre Assouline, au lieu d’en faire, en historien, le récit extérieur circonstancié, tente, en romancier, d’en restituer la vie intérieure. La fiction historique est très habile, l’écriture élégante. Deux héros sont là. L’hôtel de luxe lui-même, Lutetia, et non pas « le » Lutetia, comme s’il s’agissait d’un personnage. Et Édouard Kiefer, le détective de l’hôtel, qui conte les grandes heures et la vie interne de l’unique palace de la Rive Gauche. Rien n’échappe à l’observation de cet Alsacien, bilingue allemand, ancien poilu, ancien flic, au comportement et au regard de moraliste. Voulu par Boucicaut pour sa clientèle huppée du Bon Marché, fréquenté avant guerre par les exilés européens et des artistes argentés, Lutetia vit l’Abwehr s’y installer en 1940 durant toute l’Occupation. Il fut surtout réquisitionné en 1945 pour accueillir les flux de « revenants » des camps de concentration allemands. Kiefer est le témoin actif, respectueux et empathique de toutes ces tragédies individuelles vécues. L’émotion, très retenue jusque là, sourd alors des archives.