Ma

ATANGANA Louis

Au village de Méfomo, à l’écart des autres qui la croient un peu sorcière, vit Ma, une vieille femme. Stérile, elle a « volé » un jour Félix, enfant d’un orphelinat de la ville, pour l’élever. Jonas, lui, a vécu trente ans au pays des Blancs ; il en est revenu avec des livres plein la tête, et un seul dans les mains : Cent ans de solitude. Il a appris à lire à Félix dans ces pages, une idée que Ma maudit tous les jours. Au village, il y a aussi Magali, une fille silencieuse, solitaire, prise en charge par un vieil homme. Elle aime aller se baigner dans la rivière et se cacher au plus profond de la forêt, là où habitent les esprits qui tourmentent les hommes.

Ma est une mère possessive, pour qui Félix n’est encore qu’un enfant. Mais Jonas, avec son livre, ouvre les portes du monde à l’adolescent, tandis que Magali lui fait ressentir d’autres troubles. Habile manipulatrice, elle lui vole son livre, qu’elle rendra s’il lui construit une cabane et lui fait la lecture. Peu à peu la confiance s’installe, et Magali finit par évoquer l’indicible : son village pillé, l’enrôlement comme enfant-soldat, la fuite avant d’être définitivement détruite par la violence.

Entre ces quatre solitaires se noue le fil ténu de la vie, dans ses nuances et ses émotions : l’immense besoin de maternité d’une femme et sa difficulté à voir son enfant devenir homme, la vie et la mort étroitement mêlées dans une même danse, l’amour et la haine pareillement enracinés au coeur des hommes, dénaturés par la guerre.

Le mystère de la forêt – l’animisme est sous-jacent – fait écho aux secrets de l’âme humaine, ceux qui se disent dans le silence d’une transmission matriarcale issue de la nuit des temps. Transmissions orale et écrite sont complémentaires : le livre, la lecture, l’écriture sont les instruments pour sortir de soi-même, apprendre le monde au-delà du village, ou le réinventer par la vertu de l’imagination.

Mené par une écriture dense, remarquablement maîtrisée, le récit intègre avec subtilité les expressions africaines et cet art magistral de dire les choses sans les dire, d’exprimer les sentiments, les attirances, les violences aussi, sans s’appesantir. Roman initiatique, les échos de la vie qu’il transmet ont une dimension universelle, jusque dans la construction de la cabane, évocatrice d’une genèse et d’un paradis terrestre, recommencé dès qu’un homme et une femme se rejoignent. Livre de sagesse aussi, puisqu’il s’agit de trouver sa dimension humaine là où la vie impose de vivre.

Récit fondateur enfin, qui imprègne profondément le lecteur la dernière page refermée.