Nourrisson monstrueux de dix kilos à la naissance, elle a fait fuir sa mère, jeune et jolie star américaine. Son père plein d’attentions et maladroit la remplace, prétextant une jumelle morte in utero pour expliquer une prise de poids exponentielle. Gavé des mets paternels amoureusement élaborés, son corps continue d’enfler et le harcèlement de ses camarades de classe l’isole. Dans une fable aux accents rabelaisiens, la Mauricienne Ananda Devi (L’ambassadeur triste, NB mai 2015), met en scène une obèse de seize ans dont le cerveau est plus agile que le corps. Emprisonnée dans ses chairs et trompée par les mensonges de son père, elle souffre d’un isolement inversement proportionnel à son exposition sur les réseaux sociaux par ses condisciples. Rien ne la rassasie dans cette société qui refuse la différence et/ou le contrôle de soi et de son corps agissent en maîtres. Autodérision et lucidité dissèquent le rapport à la conformité et le besoin de s’exposer. L’auteur fait montre d’un talent de conteuse et d’une plume aguerrie pour une histoire aussi hors norme que son héroïne. Le malaise du lecteur accompagne celui de cette jeune boulimique. (S.D. et A.-M.D.)
Manger l’autre

DEVI Ananda