Il Ă©tait une fois un lapin. Pas un lapin ordinaire, mais un Ă©lĂ©gant dandy audacieusement vĂȘtu, qui berçait un spleen de cĂ©libataire en lisant RomĂ©o et Juliette ! Il rĂȘvait de se marier⊠Il Ă©tait une fois une trĂšs jolie carotte, orange et rougissante, qui, voyant un lapin Ă tous les coins de rue, osait Ă peine quitter son logis. La rencontre eut lieu, dĂ©sastreuse : la belle, verte de peur, tomba dans les pommes et mit son amoureux transi dans lâembarras. Comment sây prendre ? Un dentiste eut raison de son pire dĂ©savantage : lâinsolente agressivitĂ© de ses dents ! Alors, tout fut possible. Y compris pour le couple amoureux, la traversĂ©e victorieuse de lâĂ©preuve du renardâŠ
Ainsi va la vie, dans les contes ! Celui-ci est savoureux : le clin dâoeil dĂ©calĂ© Ă la tradition rappelle Ă qui lâaurait oubliĂ© quâĂ cĆur aimant, rien nâest impossible. Quitte Ă bousculer une deuxiĂšme certitude : les lapins « aiment » les carottes. Et une troisiĂšme : les renards des histoires ont la babine qui frĂ©tille. Le conte nâest-il pas un espace de dĂ©fis ? En trois bonds palpitants, lâaffaire est bouclĂ©e pour que les hĂ©ros « vivent heureux et aient beaucoup dâenfants ». De quoi ravir le lecteur. Mieux : Ăric Sanvoisin assortit malicieusement son rĂ©cit dâun commentaire Ă deux voix, celle de la conteuse, une araignĂ©e, et celle dâun ver de terre qui lâĂ©coute et rĂ©agit Ă sa maniĂšre, impertinente et drĂŽle, Ă la loufoquerie de lâimprobable romance. On les croise rarement dans les albums jeunesse⊠Les rĂ©pliques fusent, de la narratrice velue au vermisseau qui ne sâen laisse pas conter ! Marions-les offre donc un rĂ©cit dans le rĂ©cit, Ă deux niveaux de lecture. La mise en image de Delphine Jacquot est une deuxiĂšme prouesse : lâalbum en hauteur permet une astucieuse rĂ©partition des deux textes ; le deuxiĂšme, crĂ©ditĂ© dâune bande blanche en bas de page, installe un face Ă face thĂ©Ăątral entre les deux protagonistes aux prises avec le conte : mimiques aussi savoureuses quâexpressives ! Lâillustratrice sâest surpassĂ©e⊠Autre excellente idĂ©e : la diffĂ©renciation des deux groupes de personnages par un changement dâĂ©chelle, lapin, carotte et renard occupant lâessentiel de lâespace narratif. Un espace Ă trois couleurs dominantes : lâorange, un bleu nuit et le vert dont la complĂ©mentaritĂ© et le contraste servent la nettetĂ© de lâimage. Le trio personnifiĂ© « à la maniĂšre deâŠÂ » est mis en scĂšne avec une inventivitĂ© qui rime avec le texte, en accentue lâhumour dans la libertĂ© de dĂ©tails graphiques impromptus qui disent la connivence entre lâĂ©crivain et lâillustratrice. Le plaisir des deux est sensible et communicatif ! (C.B. et M.T.D.)
LaurĂ©at Prix LivrentĂȘte – 2021