Pourquoi une seule analyse pour deux titres différents ? C’est que – initiative sans équivalent dans le monde de la BD ! – ils sont deux variantes d’un tome troisième et final. Aucun ne précède l’autre.
À la fin du tome deux, la psychanalyste centenaire Eva Stern, née avec le siècle, s’apprêtait à mourir avec lui en sombrant dans un coma irréversible et l’ordinateur contenant ses mémoires était victime d’un bug le réinitialisant sans cesse au 1er janvier 1900. Tant ce bug qui invite à revisiter le siècle écoulé que ce double final veulent montrer que l’Histoire n’est pas une lecture à sens unique, mais une représentation subjective, que la fin n’est pas un achèvement. Les couleurs du passé varient comme la couverture des albums : bleutées et plus optimistes pour « 1900 », rougeoyantes et plus dramatiques pour « 2000 ». Deux albums, deux regards, utilisant parfois les mêmes images, mais agencées différemment. Un graphisme réaliste superbe, à la mise en page privilégiant les cases horizontales pleine largeur sur des pages aux marges de couleur. Aucun phylactère mais un récitatif continu sur fond coloré en bas de case, émanant des témoins de la vie d’Eva Stern.
Dans « 1900 », c’est Nathan, un ex-patient de la thérapeute qui apporte ses souvenirs et ses documents à la jeune psychologue qui assiste Eva sur son lit de mort. Dominent l’obsession du frère mort à la Grande Guerre, Franck, photographe, mort jamais acceptée, et les sinistres péripéties de la seconde guerre mondiale avec les camps de concentration, mais aussi la mission d’Apollo 18 dans lequel Eva parvient à faire embarquer l’ensemble des photos de Franck afin de les mettre « à la disposition de l’humanité ».
Dans « 2000 », Raphaël, grand chasseur de bugs informatiques, privilégie l’aventure hippie américaine, ses paradis artificiels et son rêve d’accoucher d’une nouvelle espèce humaine, rêve qui se fracasse dans les horreurs de la guerre du Vietnam que photographie un autre Franck, un descendant du premier.
Les albums semblent échanger leur final : un Boeing dans un ciel bleu dans « 2000 », son écrasement sur le World Trade Center dans « 1900 ». Contre-pied énigmatique à l’image de l’oeuvre. « XXe ciel.com » est un cycle brillant et intrigant que chaque lecture renouvelle. Une oeuvre.