Mictlán

RUTÉS Sébastien

Un semi-remorque frigorifique traverse un désert au Mexique sur une route droite bordée d’ordures et de cadavres. Dans la cabine deux chauffeurs, Vieux et Gros, se relaient vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ils ont ordre d’aller droit devant eux sans jamais s’arrêter sauf pour prendre du carburant aux rares stations-service encore debout. Leur cargaison est d’un enjeu capital. Ils sont poursuivis. Les embuscades se multiplient. Pourtant une odeur fétide se dégage du convoi.  

La route est rectiligne, interminable, infinie comme l’horreur de ce qui se dévoile au fil du récit. Mènera-t-elle au lieu où les 157 victimes de mort violente contenues dans le camion accéderont à l’oubli ? Les deux conducteurs rivés l’un à l’autre dans une fraternité forcée sont eux-mêmes des morts en sursis. Sous l’oeil implacable du Gouverneur corrompu qui, depuis une ville sans nom, surveille chacun de leurs gestes, ils n’ont d’autre choix que de tuer ou être tués. Ce conte métaphorique de Sébastien Rutés (La vespasienne, HdN décembre 2017), élitiste et halluciné, du transport d’âmes assassinées vers l’effacement de la mémoire est d’une noirceur sans issue. Par un jeu de style savant d’une étonnante sobriété, une épure à la fois stylistique, poétique, explosive et contenue, l’auteur fait émerger – autrement – un monde cauchemardesque d’une fulgurante efficacité. (A.Lec. et L.D.)