Mon travail d’écrivain n’autorise à mes yeux aucune concession : lettre à Federico Mayor

SIMON Claude

Une lettre de Claude Simon adressée à Federico Mayor, alors biologiste et professeur à l’université de Madrid, avec qui il participait en URSS en 1986 au forum de Issyk-Kul, réunissant, pour un colloque, une délégation d’intellectuels chargés de réfléchir « aux objectifs de l’humanité dans le troisième millénaire à l’échelle mondiale ». 1986, l’URSS de Gorbatchev ! Claude Simon, prix Nobel de littérature depuis 1985, finit par parapher, à la demande de Federico Mayor, la déclaration signée par le collectif mais exprime, en même temps, sans ambages, le fond de sa pensée sur ce « Voyage en URSS ».

La correspondance se prête à la sincérité mieux qu’une déclaration officielle. Occasion de marteler ce qu’exige le « travail d’écrivain », phrase-titre choisie pour la première édition intégrale de ces pages. La revendication de la liberté d’expression résonne dans le contexte de Issyk-Kul. Son corollaire va de soi : la responsabilité. Rien de neuf dans le fait d’imposer à la notoriété de l’artiste cette obligation de citoyen que d’autres ont assumée avant lui. La question essentielle reste ouverte du lien entre une fonction et une absolue liberté. Plus intéressante ! Cette lettre a un deuxième objectif, conjoncturel sinon polémique : les attendus de Tchingiz Aïmatov, « vœu pieux » ou pure rhétorique compte tenu de leur formulation et de la composition de l’aréopage des quinze invités, sont la cible immédiate de cette mise au point épistolaire ! L’écrivain manie la langue avec une élégante ironie pour un portrait de groupe savoureusement caustique réinventé, pour le plaisir, dans son dernier roman, L’invitation. (C.B et M.T.D)