À l’incinération d’André Choulans n’assistent que sa femme et son fils Émile. En 1961 leur triste appartement lyonnais est déjà un huis clos. Le père ne travaille pas, mais s’invente force rôles auxquels Émile croit naïvement. Putsch à Alger : il « engage » l’enfant de douze ans dans les rangs de l’OAS et lui propose d’assassiner de Gaulle, ce « salaud » qui a trahi la France et dont il avait été un conseiller. Il aurait été également « Compagnon de la chanson », parachutiste, espion, footballeur… C’est surtout un tyran qui humilie sa femme et tabasse son fils.
Sorj Chalandon (Le quatrième mur, NB octobre 2013) a puisé dans son enfance le modèle effrayant et pathétique d’un père mythomane – qu’il aime, alors que celui-ci le met volontairement en danger. Ces années terribles sont filtrées, épurées, transformées par le prisme du roman. On ne pleure pas sur le sort d’un petit martyr : on vit avec un enfant crédule et confiant et l’on rit aussi devant le délire paranoïaque d’un manipulateur. Écriture sobre et efficace, dialogues multiples, analyse psychologique fine soutenue par un style incisif porteur d’émotion. Une fin apaisée mais on reste durablement marqué. (M.-C.A. et F.G.)