Rouge

Dans la cour de l’école, baskets et casquette à l’envers, Arthur est comme les autres. Enfin presque : même si cela ne se voit pas trop, il a tendance à rougir. Sans penser à mal, elle le lui dit : «  t’es tout rouge… ». Et c’est parti : tout le monde glousse, ricane. Les messes basses vont bon train. Arthur vire à l’écarlate ; on a fait cercle autour de lui. Paul le meneur fédère les quolibets, de plus en plus méchants, suivis de gestes agressifs. La limite est franchie. Que peut-elle faire ? Dire « stop » et devenir, elle aussi, la cible de Paul ? Quand la maîtresse demande ce qui s’est passé, poussée par un sentiment de honte plus fort que la peur de représailles, elle ose, elle lève la main…. et les autres, Léna, Ronan, Louis et Lucas à leur tour lèvent la main.

Un exemple parmi d’autres, apparemment anodin, du harcèlement ordinaire à l’école. L’analyse est finement attribuée à la fillette par qui tout est arrivé. Pourtant rien de désagréable dans ses propos : juste une remarque étonnée qui ne ciblait pas sciemment la timidité d’Arthur. On mesure d’autant le rôle du groupe dans  l’incident : sur le mode du jeu, dans l’impunité de l’anonymat, la phrase reprise en choeur et modulée devient assassine et l’enfant-leader y trouve une occasion de plus d’asseoir sa suprématie. Le scénario refuse néanmoins la noirceur en inventant à ce drame une sortie exemplaire : grâce à l’intervention de l’adulte qui en appelle à la responsabilité des enfants, la victime ne devient pas le bouc-émissaire attitré. Dans le paysage juvénile où la délation est montrée du doigt, il est bon d’apprendre à rompre cette loi absurde du silence au profit de la solidarité avec les plus faibles.

L’illustration de ce « conte moral » est à la hauteur du contenu : sobre et expressive. Sur un fond bistre, du rouge, du noir et une touche de vert. Le symbolisme de ce jeu de couleurs est parfaitement cohérent et lisible. Le rouge de la timidité, puis de l’humiliation ou de la honte, envahit l’espace qu’il partage avec le noir de la violence et de la peur. Le dénouement optimiste fait reverdir les arbres de la dernière page et « rire jaune » le coupable justement puni. Les personnages sont dessinés d’une touche légère, l’accent mis sur l’expression des visages et la gestuelle des émotions. La mise en page exploite l’espace de l’album et l’architecture du toboggan pour signifier les rapports de force et leur inversion. Gros plans et silhouettes grisées dessinent, dans les doubles pages centrales, les monstres qui sommeillent en nous. Un album efficace pour aborder avec des enfants la question de la violence à l’école. (C.B. et A.T.)