Ezra Zimmermann quitte son Ăźle de RĂŒgen pour intĂ©grer Ă Berlin lâatelier du cĂ©lĂšbre peintre Andreas Mauser et suivre son enseignement. Comme ses camarades, Judith et Luc, il est impatient de dĂ©couvrir le chef-dâĆuvre du maĂźtre, cachĂ©, avant son exposition, dans une structure cubique parfaite. Choisi comme nouvel assistant de Mauser, Ezra dĂ©couvre le cheminement de la crĂ©ation, la puissance de lâacte, lâemprise du peintre et la souffrance des modĂšles.
Ce pourrait ĂȘtre un roman japonais tant lâauteur chorĂ©graphie les mots, enveloppe son rĂ©cit dâune Ă©criture poĂ©tique et sensuelle et pose sur ses personnages un regard attentif. Benjamin de Laforcade dessine mĂ©ticuleusement le Berlin oĂč il vit dans son urbanitĂ© froide quâil rĂ©chauffe de ses nuits interlopes et de ses automnes ambrĂ©s. Le romancier observe ; il applique Ă son Ă©criture la couleur des pigments, la courbe des sentiments, et laisse pressentir un danger par touches dĂ©licates. Un malaise sourd tout au long du livre. Dans ce premier roman parfaitement maĂźtrisĂ©, lâĂ©criture souple apprĂ©hende lâanimalitĂ© de la crĂ©ation, le doute, le face Ă face, le « peau Ă peau » avec la toile jusquâĂ la frontiĂšre de lâĂąme. Le peintre crĂ©e et le modĂšle devient tableau. Cette puissance donne au maĂźtre le pouvoir de plier le modĂšle Ă sa volontĂ© et, tĂ©moin de ce qui naĂźt, lâassistant lâest aussi de ce qui est tu. LâimpunitĂ©, autorisĂ©e voire encouragĂ©e par le silence, la lĂąchetĂ© et la rĂ©signation, apporte Ă ce roman son cĂŽtĂ© sombre, comme un contrepoint Ă la beautĂ© du geste. (Maje et S.D.)