Il fut un temps où les habitants de Zagreb vivaient en bonne intelligence, avec respect et tolérance, leurs religion et culture respectives – du moins en apparence. C’était en 1930, quand naît Ruta Tannenbaum. Son père Salamon souffre de sa judéité – il préfèrerait être catholique. Enfant prodige, Ruta découvre le théâtre grâce à une voisine très chrétienne et connaît une brève mais intense carrière de comédienne. Bientôt les événements politiques dépècent la Croatie, la haine infiltre les communautés, disloque le tissu social et condamnent les Juifs à la solution finale. Ce long roman touffu et généreux explose de destins croisés où origine familiale, passé, secrets et alliances réactivent le présent. La vitalité d’une écriture débordante met en relief narration, conte ou poésie. Car si les frontières géographiques fluctuent, celles plus difficilement cernables et souvent démultipliées des paysages humains oscillent entre réalité et imaginaire. Dans cet hommage à Lea Deutsch, « la Shirley Temple croate », morte à seize ans dans un train de déportés, Miljenko Jergović (Freelander, NB juin 2009) manie un scalpel ironique, impitoyable et déroutant, tout en embrassant l’histoire de son pays où les haines et les crimes sont encore vivaces.
Ruta Tannenbaum
JERGOVIĆ Miljenko