Cet abĂ©cĂ©daire dĂ©tournĂ© bouscule les conventions du genre. Au lieu des vingt-six lettres, Michael Escoffier imagine leur absence et la mĂ©tamorphose du mot dâoĂč elles se sont envolĂ©es. Une double page met en scĂšne avec malice chacun de ces Ă©vĂ©nements. Par exemple : « Sans le A la carotte fait crotte ». Au pied de la lettre, si on peut dire, un irrĂ©sistible lapin dessinĂ© par Kris Di Giacomo prend la pose. SuccĂšs garanti avec une telle entrĂ©e en matiĂšre !
Avec de ruptures constantes de ton, la promenade au pays des lettres enchaĂźne les saynĂštes entre sourire et Ă©clat de rire au grĂ© des trouvailles des deux complices. Les allitĂ©rations lâemportent quand « lâaigle bat de lâaile ». Ailleurs, les crayons devenus rayons dessinent sur une page dâĂ©colier un soleil dâenfant des plus convaincants. Plus loin, sâimpose le principe de rĂ©alitĂ©Â : privĂ©e de voyelle, « la mouche est moche ». Qui en douterait ? Au royaume de la fantaisie, rien dâimpossible : « les chouettes ont des couettes », « les kĂ©pis ont des Ă©pis », « lâorange a peur de lâorage ». Parfois encore, câest le dessin qui mĂšne le jeu pour transformer en C le WC. Pour le Z, un traitement Ă part, une pirouette finale. De surprise en surprise, sans baisse de rĂ©gime, la magie verbale emporte un lecteur, qui cĂšde lui aussi au plaisir de lâinvention.
Lâillustration entretient avec le texte un jeu dĂ©calĂ© de lecture faussement candide ; elle lâenrichit en dĂ©veloppant par lâimage une signification — une parmi dâautres — insolite et drĂŽle. Chaque double page a le charme dĂ©suet des affiches des annĂ©es 50. Une palette aux tons assourdis, nĂ©anmoins variĂ©e, ajoute du raffinement aux personnages anthropomorphes. Quant aux lettrines historiĂ©es, elles nous parlent dâun temps oĂč fleurissaient les abĂ©cĂ©daires au point de croix. Cet album amusant et raffinĂ© est une invitation, jusque dans les derniĂšres pages de rĂ©pertoire, Ă jouer avec les mots.
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