Le temps d’une nuit, une douzaine de copains s’installe sur le toit en terrasse d’un immeuble. Alix a une caméra ; elle va filmer. Devant l’objectif, ceux qui le veulent raconteront un moment de leur histoire. Ils hésitent, se lancent : un jour, pour crâner, Deck s’est fait raser la tête ; Luce, la toute sage, remplit des « cahiers de colère » ; Benjie le guitariste poète a fini par affronter son footbaleux de père ; viennent aussi la blanche Margot et son amoureux noir. Mais il en manque une, dont tout le monde parle : la belle Flora qui les fascine avec ses mots tristes et son fort accent de l’Est…
Portrait de groupe. Ni délinquants, ni révolutionnaires, ces jeunes ! Ils rêvent simplement d’être écoutés, acceptés comme ils sont, provocateurs et romantiques, pudiques et maladroits. L’occasion leur est donnée, cette nuit-là, d’exister au grand jour, l’émotion en bémol derrière l’humour de la pose ou de la parole. Comme un appel jeté dans la nuit aux adultes « d’en bas », avant l’envol. Sans une once d’acrimonie !
Pas d’action dans ce roman qui tient en un seul lieu, en une seule nuit. Et pourtant… quelle richesse, quelle densité de vie ! La caméra orchestre ces confessions à la nuit, ces bribes d’autobiographie en un récit à plusieurs voix qui s’interrompent, se coupent les unes les autres, un discours narratif externe relayant les récits personnels. Il est difficile d’épouser le registre adolescent sans sonner faux. Au fil des points de suspension de leurs monologues à l’adresse de la caméra, les personnages sont finement dessinés par une romancière qui connaît son «sujet». Le regard est juste et tendre. Bonheur de l’écriture, on entend ici la musique des voix. Comme au théâtre, les partitions s’accordent, chacun des personnages avançant au bord du vide (au propre comme au figuré), sauvé de la chute par les mises en garde d’un choeur moderne.
La tension dramatique est extrême ! On aurait pu titrer En attendant… Flora. Celle qui ne viendra pas ! Protégée jusque-là par le respect tacite de son secret, elle émerge, par petites touches, d’une parole que l’inquiétude libère. Peu importe l’anecdote ; elle est « l’étrangère » dont le destin de tragédie s’écrit à mots couverts : des textos qui éclairent par intermittences la nuit partagée, dans un bel effet de mise en scène. Dénouement poignant, parfaitement maîtrisé de ce roman riche en images fortes : la voix muette de l’absente est reprise pour doser l’émotion finale par « La chanson de Flora » et son accompagnement de guitare.