Terrasses, ou Notre long baiser si longtemps retardé

GAUDÉ Laurent

Vendredi 13 novembre 2015. À Paris il fait doux. Chacun est heureux de passer dehors une soirée avec des êtres chers. Quand surgit une voiture noire d’où descendent trois hommes. Ils tirent sur les clients attablés en terrasses. Puis pénètrent dans la salle de concert du Bataclan et mitraillent les jeunes qui dansent dans la fosse. Deux jumelles fêtent leur anniversaire, une jeune mère s’octroie un instant de liberté…

Laurent Gaudé (Chien 51, Les Notes juillet 2022) construit un récit d’une rare intensité dramatique. Il y a avant, l’insouciance ; pendant, l’horreur ; après, l’oubli inconcevable pour ceux qui restent. Des paragraphes courts, des phrases haletantes, un enchevêtrement de voix. Pris au piège, les spectateurs se bousculent pour sortir ou se jettent à terre pour simuler la mort. Les mourants et blessés appellent, les rescapés, les otages sont tétanisés. Le premier médecin doit choisir ceux qui peuvent être sauvés. Les policiers, pompiers et brigade de choc, la peur au ventre, assument. Puis les infirmières, épouvantées par ce carnage, s’activent. Les parents attendent dans l’angoisse des nouvelles de leurs enfants, et devront reconnaître leurs morts. Si certains ne pensent qu’à sauver leur peau, d’autres réconfortent les victimes et aident les secours. Les tirs sont aveugles et c’est le Hasard qui décide, lui oui, lui non. Une profonde réflexion sur la fragilité de la vie humaine, sur l’amour de l’autre et son contraire, la barbarie sans visage. (L.G. et C.G.)