La grande artiste plasticienne Kvĕta Pacovská (1928-2023) nous a quittés le 6 février, à l’âge de 94 ans.
Un art coloré et ludique à portée des enfants
Née à Prague en 1928, elle y a étudié à l’Académie des arts et du design. Quand elle en sort en 1948, elle veut peindre dans l’esprit de Kasimir Malevitch, qui manie des formes simples à caractère géométrique, et des constructivistes russes. Mais dans son pays alors aux mains des Soviétiques, l’art abstrait est considéré comme « dégénéré ». Elle doit peindre en cachette puis se tourne vers les livres pour enfants qui, eux, échappent à la censure. Elle conçoit en 1990 un premier album pour son fils, Un, cinq, beaucoup, qui rencontre immédiatement le succès, à son grand étonnement (1).
« Mon tout premier livre était un ouvrage sur les chiffres. J’adore leurs formes et l’importance qu’ils ont dans notre vie », explique-t-elle. Cet album est en effet une initiation aux formes, aux couleurs et aux chiffres, avec des inventions graphiques et des volets à soulever. Il a été publié pour la première fois en France par les éditions Ouest-France en 1991. Suivront une vingtaine d’albums édités pour la plupart chez Minedition, au Seuil Jeunesse et aux Éditions des Grandes Personnes. Elle peuple ses livres de rhinocéros, de drôles de clowns au nez pointu, la lune aussi est souvent présente. Qu’elle revisite les contes traditionnels comme Le Petit Chaperon rouge ou raconte ses propres histoires, elle fait vibrer les couleurs, rouge qui claque omniprésent, noir brillant, imagine des livres à toucher, des livres-accordéons, utilise découpes, pliages, collages, papier calque, reliefs, inserts de miroirs, volets à soulever… Elle s’adresse aux cinq sens et, grâce à la compréhension immédiate du dessin et des manipulations, abolit la frontière de la langue.
Car elle ne fait pas seulement des livres, elle sculpte les pages. Elle confiait déjà, dans une interview accordée au Monde, en 1994 : « J’aime le papier. Il n’est pas de matériau plus malléable. On peut le plier, le déchirer, le coller, le froisser, le colorier, construire quelque chose avec, le mouiller avec de la peinture, le déformer ». Et les enfants peuvent manipuler ses livres, les déployer, s’en entourer, s’immerger dans une profusion de formes et de couleurs. C’est une réussite pour celle qui souhaitait que ses albums soient « comme de petits musées portables mis à la portée des enfants ».
La reconnaissance et le succès au rendez-vous
La grande dame noire à la longue silhouette fluette, au regard vif et malicieux, comme l’évoque son éditrice Brigitte Morel, a connu un succès international de son vivant.
En effet, ses albums ont été traduits en allemand, en anglais, en japonais, en italien, en portugais, en danois, en finnois, en néerlandais et en chinois.
Elle a également beaucoup exposé, une quarantaine d’accrochages dans le monde entier. À Paris, l’exposition qui lui a été consacrée au Centre Georges Pompidou s’intitulait joliment La dame qui fait des livres en rouge. Si l’essentiel de son œuvre est dédié à la jeunesse, elle a également produit des peintures, sculptures et affiches pour tous.
Parmi les nombreux prix dont elle a été couronnée, on peut citer le prestigieux Prix Hans Christian Andersen, aussi nommé petit prix Nobel de littérature, remis pour l’ensemble de son œuvre en 1992 ou le Prix Graphique à la Foire du livre jeunesse de Bologne, en 1998, pour Alphabet.
Malgré cette notoriété, de nombreux titres de Kvĕta Pacovská sont actuellement indisponibles, dont certains évoqués ici. En effet ses livres, véritables œuvres d’art, nécessitent une fabrication complexe, exigeante et donc coûteuse. Espérons que les nombreux hommages rendus à celle qui voulait que les enfants « reconnaissent la beauté ou la possible existence de la beauté » incitent les éditeurs à relever ce défi. Mais aussi invitent chacun d’entre nous, petits et grands, à flâner dans cette œuvre si gaie et pleine d’imagination à propos de laquelle cette grande artiste disait : « Les gens me demandent toujours si je suis illustratrice, peintre ou sculpteur. En réalité, ces trois choses n’en font qu’une… Je crée des univers où l’on peut se promener. »
Pour aller plus loin
La vidéo d’une interview réalisée en 2014 au Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil où la plasticienne parle de sa démarche, dessine en direct et rend hommage à sa grand-mère qui « lui a donné le goût de l’art pour toujours ».
Marie-Christine Gaudefroy
Lectrice comité jeunesse
(1) Le livre Un, cinq, beaucoup a été publié pour la première fois chez Ouest-France en 1991, puis sous le titre Jamais deux sans trois, au Seuil Jeunesse en 1996. Enfin chez Minedition en 2010.
Sources :
- Le Monde du 15 novembre 2014 et du 08 février 2023
- Site Actualitté du 08 février 2023
- Hommage de Brigitte Morel, éditrice de Kvĕta Pacovská, du 07 février 2023
- Hommage du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil du 09 février 2023