Il n’y a pas d’âge pour être pauvre, pas d’âge pour se poser les bonnes questions
Selon l’Unicef, 356 millions d’enfants vivaient – avant la crise du Covid – dans la grande pauvreté, au sens défini par la Banque Mondiale, c’est-à-dire dans des familles ayant moins de 1,60 € par jour et par personne. Si la majeure partie d’entre eux vivent en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud, les enfants sont touchés par la précarité partout dans le monde. Y compris en France où « les enfants sont 66% à considérer qu’il y a des élèves pauvres dans leurs écoles » (1). « À partir du moment où les besoins fondamentaux – comme dormir suffisamment, manger à sa faim, se laver et avoir un toit – ne sont pas satisfaits, l’enfant n’y arrive plus », constate une enseignante dans Le Monde (2). La pauvreté est donc bien un sujet de préoccupation réel, y compris chez les plus jeunes.
Une lauréate du prix Nobel pour expliquer la pauvreté aux enfants
La pauvreté dans le monde, c’est la grande mission à laquelle Esther Duflo, économiste du développement et prix Nobel d’économie en 2019 à 46 ans, se consacre. Née à Paris, Esther Duflo travaille aux États-Unis et en France. La méthode de l’économiste et des chercheurs avec qui elle travaille consiste à faire des expériences de terrain, dans les pays pauvres, sur une question simple et précise, et de comparer les résultats entre un groupe témoin et un groupe d’expérience. L’idée est de diviser les problèmes et d’y apporter des solutions modestes qui fonctionnent et ont fait leurs preuves. Prenons l’exemple de la vaccination abordée dans l’album Afia. On comprend que, contrairement à des idées reçues, les vaccins ne manquent pas forcément, pas plus que des personnes pour faire les injections. Ce qu’il faut aussi c’est que les parents amènent leurs enfants pour les faire vacciner. Une contrepartie, comme le don d’un kilo de lentilles pour chaque vaccin et d’assiettes en métal après les cinq vaccins essentiels, augmente fortement la couverture de la vaccination des enfants.
Autre exemple : l’école, sujet abordé dans l’album Nilou. Là encore, contrairement à ce qu’on pourrait penser, la majorité des enfants des pays en développement sont scolarisés dans des écoles proches de leur lieu d’habitation. Mais les programmes sont inadaptés et les enfants se découragent et ne viennent plus à l’école. Or l’expérience montre que s’ils peuvent bénéficier d’un soutien scolaire adapté, alors ils progressent rapidement.
Une illustratrice
Pour s’adresser aux jeunes enfants, il fallait des images. C’est Cheyenne Olivier, jeune artiste diplômée de l’École des arts décoratifs de Strasbourg – Prix Jeune Talent au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême en 2016 – qui a mis en images ces albums, en étroite collaboration avec l’autrice. Elle s’inspire des formes géométriques et des graphiques utilisés en économie, et y ajoute des couleurs vives et gaies, ainsi que de nombreux petits détails (animaux, fruits, objets…). Les images, pas plus que l’écriture, ne sont ancrées dans une culture ou un lieu précis, et elles donnent une tonalité joyeuse aux albums, loin de tout misérabilisme.
Un éditeur
Esther Duflo et son mari Abhijit V. Banerjee ont écrit Repenser la pauvreté (Les Notes mars 2012), un ouvrage articulé autour de dix thèmes principaux, publié au Seuil en 2012. C’est donc tout naturellement les éditions du Seuil Jeunesse qui publient cette série de dix albums écrits par Esther Duflo à l’intention des enfants, dès cinq ans. Chaque album reprend, sur 32 pages largement illustrées, un des thèmes de Repenser la pauvreté à travers une petite fiction qui met en scène un enfant face à des difficultés du quotidien, et montre comment la situation peut évoluer favorablement. Les cinq premiers titres parlent de l’école, de la santé, de la grande ville qui attire ou inquiète, des élections locales et particulièrement de la place des femmes au pouvoir, et des plus démunis, souvent des femmes âgées et sans ressources. Les cinq autres, à paraître en septembre 2023, aborderont la gestion d’une petite entreprise, la pollution, les risques de la nature, les nouvelles technologies et enfin le genre et la famille.
Enfin, à la demande de Céline Ottenwaelter, responsable éditoriale au Seuil, chaque livre est astucieusement complété par un texte d’Esther Duflo destiné aux adultes. On y trouve des clés pour mieux comprendre les enjeux et les expérimentations menées sur le terrain. Une façon limpide de s’ouvrir à ces questions, et de comprendre que la pauvreté n’est pas une fatalité.
La pauvreté ? Tous concernés !
Quand une signature aussi prestigieuse que celle d’un prix Nobel s’adresse aux enfants, cela fait évidemment du bruit (voir la liste non exhaustive d’interviews ci-dessous). Et c’est tant mieux, car cela donne de la visibilité à l’excellence de la littérature pour la jeunesse en France. Et plus on parlera de ces sujets, plus on trouvera des solutions pour faire reculer la pauvreté.
Aline Eisenegger
Lectrice comité jeunesse
Esther DUFLO : La pauvreté expliquée aux enfants, illustré par Cheyenne Olivier. Seuil Jeunesse, 2022.
Cinq titres publiés :
- Afia : Qui saura la guérir ?
- Bibir : Un coup de pouce pour la sorcière
- Neso et Najy : Même pas peur de la grande ville
- Nilou : Fini l’école buissonnière !
- Oola : En avant les élections
Quelques interviews d’Esther Duflo dans les médias :
- Minh Tran Huy, Madame Figaro, 2 septembre 2022
- Nicolas Demorand, « L’invité de 8h20 : Le grand entretien », France Inter, 2 septembre 2022
- France 5, C l’hebdo, 3 septembre 2022
- Anne-Flore Hervé, Ouest-France, 4 septembre 2022
- Arte TV, 28 Minutes, 5 septembre 2022
- Virginie Bloch Lainé, Libération, 7 septembre 2022
- Isabelle Alvaresse, Télérama, 10 septembre 2022
- Denis Peiron, La Croix, 15 septembre 2022
1. Résultat d’une enquête Ipsos pour le Secours populaire cité par Violaine Morin dans un article du Monde le 9 septembre 2022.
2. L’école au défi de la grande pauvreté, par Violaine Morin, in Le Monde, 9 septembre 2022.
Octobre 2022