Le prix CBPT 2023 est attribué à Anthony Passeron pour Les enfants endormis.
Unique en son genre, le prix CBPT, créé en 1980, se distingue par son originalité. Décerné par l’ensemble des bibliothécaires du réseau CBPT, un public particulièrement expérimenté et ouvert, il a pour vocation de proposer des titres qui offrent aux lecteurs une écriture et des sujets rigoureux et denses et de récompenser un auteur non encore lauréat d’un prix majeur. « Des pépites » à découvrir et à faire découvrir !
Cette année, parmi les 4 titres proposés, plus de 1300 bibliothécaires du réseau ont voté à 52% pour Les enfants endormis. Un véritable plébiscite ! Anthony Passeron rejoint ainsi la quarantaine d’écrivains déjà couronnés par le prix CBPT, parmi lesquels J.M.G Le Clézio, D.Pennac, P.Delerm, A.Ferney, M.Dugain, ou encore L.Mauvignier.
Pour ceux qui n’auraient pas lu Les enfants endormis
Plusieurs décennies après la mort de son oncle, héroïnomane, victime du sida dans les années 80, l’auteur veut faire revivre la mémoire de celui dont on ne parle qu’à demi mots. Croisant le récit intime et sensible de l’apparition du sida dans une famille de l’arrière-pays niçois (celle de l’auteur) et celui du combat de la communauté scientifique contre le virus, ce roman bouleversant apporte un nouvel éclairage à l’histoire d’une maladie longtemps incomprise.
Lors de la cérémonie de remise du prix, le 16 mai 2023, c’est Valentine Gay, éditrice d’Anthony Passeron aux éditions du Globe, qui répond à nos questions
Lorsque vous avez découvert le livre envoyé par son auteur, comment avez-vous détecté son potentiel de succès ? Pourquoi les éditions Globe ont-elles engagé le pari de le publier ?
Juste avant le confinement, je reçois le manuscrit sur ma boite mail, accompagné d’un mot très simple disant « J’ai voulu raconter l’histoire de ma famille dans un petit village de l’arrière pays niçois dans les années 80. »
Ce petit mot m’a vraiment donné envie de lire ce livre et je l’ai dévoré car il développe un point de vue très intéressant. En effet on n’a jamais raconté l’histoire du VIH du point de vue de la ruralité. On l’a racontée du point de vue des artistes, du point de vue des villes, du point de vue de l’intelligentsia, mais jamais du point de vue de la ruralité. Donc on pouvait le publier. Ce n’était pas un livre de plus sur ce sujet.
Comment avez-vous accompagné Anthony Passeron dans cette aventure d’un premier roman ?
J’ai été très touchée par cette histoire. C’était un premier roman et on n’a qu’un seul premier roman dans sa vie. Il fallait que son auteur n’ait aucun regret. Je me suis juste assurée que tous les points de vue avaient été explorés et j’ai accompagné l’auteur dans sa démarche pour contextualiser son récit. En effet, à l’époque des faits Anthony Passeron était enfant et sa famille était une famille taiseuse où l’on ne parlait pas. Il fallait trouver les mots, et il fallait le faire avec justesse.
Vous parlez de silences et de la nécessité de trouver des mots. Comment Anthony Passeron a-t-il restitué ces mots, ces dialogues et ces silences ?
Quand les mots manquent dans un récit, l’écrivain peut combler ce manque. Certes, il n’était pas présent lors des faits, mais il a gardé le souvenir de l’atmosphère, du climat et des conséquences sur sa famille. Sa mère, sa grand-mère lui ont raconté des choses. C’est la raison pour laquelle ce récit est intitulé « roman » car tout est vrai, mais il y a eu reconstruction de la vérité.
La force de ce roman repose sur une double approche, d’une part une approche intimiste et humaine qui interroge la mémoire familiale, qui parle de honte, de déni et de culpabilité et d’autre part l’histoire du combat de communauté scientifique pour soigner la maladie.
Pourquoi avoir fait ce choix de traiter en parallèle ces deux histoires ?
Anthony Passeron avait à cœur d’inscrire sa famille dans un récit collectif et leur dire « quand vous aviez honte et que vous étiez seuls, il y avait aussi des gens qui se battaient pour vous et qui eux aussi étaient seuls. »
C’était important pour lui d’élargir le regard sur la maladie. Porter un regard sur le combat des scientifiques était aussi une manière de combler les vides du récit en mettant en lumière d’autres faits qui renforcent et prolongent l’histoire familiale.
Les personnages que l’on croise dans le roman sont les membres de la famille de l’auteur. Le talent d’Antony Passeron est d’en faire des personnages de roman. Comment expliquez-vous ce tour de force ?
Le personnage central de l’histoire est la grand-mère de l’auteur. Elle a quitté l’Italie fasciste pratiquement pieds nus pour épouser une famille de maquignons. Elle n’a qu’une chose en tête, c’est de travailler et de réussir. Lorsque le sida vient bouleverser cette construction sociale, elle continue à se battre chaque jour. Malgré son déni face à la maladie, c’est elle qui accompagne son fils à l’hôpital pour ses traitements. Elle se révèle profondément humaine. Son devoir et son sens de la famille sont plus forts que sa honte.
Dans ce roman, Anthony Passeron fouille son passé. Il ne cherche pas à embellir l’histoire, mais seulement à mieux la comprendre. Cette histoire aurait pu se dérouler dans d’autres familles. Tous les personnages deviennent tellement authentiques qu’ils nous appartiennent un peu. C’est ainsi qu’ils deviennent romanesques.
Le mot de la fin
Un livre c’est de la transmission, et c’est formidable de pouvoir en discuter comme ça. Il est très important qu’un livre suscite un débat. J’adore les livres qui font lever la tête pour réfléchir. C’est ce qui s’est produit avec le livre d’Anthony Passeron et je vous en remercie.
Entretien mené par A.-M. Gronier pour le Prix CBPT
Juin 2023